Saint-Denis

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Complément d’histoire

NOTRE DAME EST EN CHANTIER POUR UN BON BOUT DE TEMPS, MAIS IL NOUS RESTE SAINT-DENIS. NÉCROPOLE DES ROIS DE FRANCE DURANT PLUS DE MILLE ANS, CETTE ABBAYE EST UN JOYAU DE L’ART GOTHIQUE ET UN ECRIN MORTUAIRE UNIQUE AUX PORTES DE PARIS. VISITE GUIDÉE, AVEC L’HISTORIEN DE L’ART MÉDIÉVAL PHILIPPE PLAGNIEUX.

Durant plus de 1000 ans, de 639 à 1824, la plupart des rois de France se sont fait inhumer à Saint-Denis. Comment a grandi l’aura de cette abbaye-basilique, au fil du Moyen Age?

Sa gloire est d’abord liée à saint Denis, le premier évêque de Paris, martyrisé et décapité par les Romains vers 250. Selon la légende, il aurait marché en portant sa tête dans ses mains de la colline de Montmartre jusqu’à son lieu de sépulture, qui porte depuis son nom. Une manière d’expliquer « rationnellement » pourquoi ce martyr a été inhumé loin à l’extérieur de la ville, contrairement aux usages de l’époque antique. Dés le IVe siècle, la nécropole qui s’est formée autour du saint devient un lieu de dévotion pour les Francs. On y construit bientôt un monastère et une basilique, où l’aristocratie se fait enterrer ad sanctos, dans de luxueux sarcophages. Dagobert 1er est le premier souverain à y être inhumé, en 639.  

Mais c’est l’ambitieux abbé Suger, au XIIe siècle, qui scelle le destin de l’abbaye en œuvrant pour sa reconstruction selon les canons de l’architecture gothique naissante et pour son statut de nécropole royale unique. Désormais et durant plus de 1000 ans, ce joyau de l’architecture médiévale abritera les tombeaux de presque tous les rois de France, des chefs d’œuvre de l’art funéraire avec leurs gisants de marbre figés pour l’éternité. Aux côtés des fastueuses cérémonies, organisées pour les funérailles royales, des cultes annexes s’y développent : lépreux et pèlerins de tous poils viennent y chercher guérison et miracles. Située sur l’axe commercial du nord de la France et réputée pour sa foire médiévale du Landi, la cité de Saint-Denis va en tirer une grande prospérité et un slogan resté fameux : « Montjoye Saint-Denis ! ». Avant de devenir le cri de guerre des Capétiens, le terme montjoie désignait les calvaires bâtis sur la route de Paris à l’abbaye, pour le cortège funèbre de Saint Louis.

La plupart des vitraux qui ornent aujourd’hui la basilique datent du XIXe siècle, nombre d’entre eux ayant été brisés ou dispersés dans différents musées et églises à la Révolution. Ici, le grand panneau des rois et reines de France (1849).

Comment l’abbaye royale de Saint-Denis a-t-elle traversé la Révolution. N’est-ce pas une sorte de « miracle » qu’elle ait survécu?

Rappelons que les premiers actes de « vandalisme » commis sur l’abbaye furent le fait des moines eux-mêmes. Très tôt, certaines tombes de l’époque mérovingienne ont été pillées pour en prélever les bijoux et les objets précieux. Durant tout le Moyen Age, les moines entretiennent normalement le bâtiment, mais pour le mettre au goût du jour, ils ne cessent d’ajouter ou d’enlever des éléments de décor. Une des pertes les plus dommageables fut le retrait des grandes statues-colonnes qui faisaient la gloire de la façade, en 1771 (dont les têtes sont aujourd’hui conservées dans divers musées à Cluny, Baltimore et Boston, ndla). A la Révolution, parce qu’elle incarne les fastes de la royauté, l’abbaye est littéralement saccagée. Les tombeaux des rois et des reines sont vidés et retirés. Les squelettes sont jetés dans un ossuaire à l’extérieur.

Les reliquaires et l’orfèvrerie sont fondus. Le monument est dépouillé de ses vitraux et de son toit. On ne doit la sauvegarde des plus belles pièces qu’à l’antiquaire Alexandre Lenoir, membre de la commission révolutionnaire des Monuments de France, qui les inventorie et les met à l’abri jusqu’en 1816. Alors qu’on songe à démolir le bâtiment, abandonné aux vents, des écrivains tels Châteaubriand se mobilisent pour le sauver et parviennent à éveiller la conscience de Napoléon Ier… Rêvant d’enraciner sa dynastie dans l’histoire des rois de France, l’empereur lance un vaste programme de restauration de l’abbaye, où son tombeau doit occuper une place centrale. Les travaux se poursuivront jusqu’au Second Empire. Mais ironie de l’histoire : après sa mort à Sainte-Hélène, en 1821, Napoléon sera enterré aux Invalides, en tant que soldat et non comme souverain. Louis XVIII est le dernier roi inhumé à Saint-Denis, en 1824.

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Une vue d’ensemble de la nef de la basilique Saint-Denis qui aurait plu à l’abbé Suger, le grand promoteur de l’abbaye, au XIIe siècle. Le soleil entrant par les verrières irradie de lumière ce chef d’oeuvre de l’art gothique.

La restauration de l’abbaye au XIXe siècle a elle aussi été agitée et controversée… En quoi les travaux ont-ils modifié son aspect ?

Durant 70 ans, de 1805 à 1875, des millions de francs vont être engloutis sur le chantier de Saint-Denis, où se succéderont cinq architectes. Le souci vient de ce qu’ils font et défont, sans parvenir à se mettre d’accord. Issu de la première génération d’architectes-restaurateurs après la Révolution, François Debret mène durant 23 ans un travail de fond, scrupuleusement documenté et archivé. Il replace les tombeaux ornés de gisants dans l’église et dans la crypte. Il contribue à la réfection des sculptures de la façade, à la recréation des vitraux et de la grande rosace, à la rénovation de la flèche, en fait quasi-reconstruite. La tâche est colossale, mais les techniques médiévales sont alors mal connues et l’on a encore une vision assez créative du Moyen Age ! Lors d’une tornade, en l’an 1845, la nouvelle flèche est foudroyée. Debret la remet en place, mais l’ensemble de la tour nord est fragilisé. Contraint à démissionner, l’architecte est remplacé par le médiatique Viollet le Duc, qui n’aura de cesse de reprocher à ses prédécesseurs leurs approximations néo-médiévales et de débarrasser le monument de leurs ajouts décoratifs. C’est lui qui démonte définitivement la flèche et la tour nord de l’abbaye, amputée depuis d’une partie de sa gloire. Entre-temps, celle-ci est redevenue une simple église paroissiale, qui est classée monument historique en 1862.

Quels rapports la République entretient-elle dés lors avec l’abbaye, et  par extension, avec la royauté qu’elle incarne ?

Instaurée en 1875, la IIIe République reste méfiante à l’égard de la royauté, elle veut oublier Saint-Denis. Pour cela, quoi de mieux que de la transformer en musée ? Dans cette nouvelle configuration, les tombeaux des rois continuent d’incarner la grandeur nationale, mais leurs gisants ne sont plus que des icônes du temps passé, des œuvres d’art, ils sont mis à distance. Une grille sépare l’espace du culte et celui, désormais payant, ouvert aux visiteurs. Ainsi démonarchisée, laïcisée, « neutralisée », la nécropole des rois de France se vide de sa valeur symbolique. Dans le même temps, les funérailles nationales se déplacent vers d’autres lieux parisiens, plus consensuels : les Invalides pour le « soldat » Napoléon, le Panthéon pour les hommes illustres, Notre Dame de Paris pour les présidents. On perd au passage le concept de cimetière présidentiel. Au cours de ces événements de masse, la royauté est remplacée par la sainteté laïque. Etonnamment, un certain décorum monarchique accompagne encore ces cérémonies, savamment scénarisées et retransmises à la télévision dés 1970, à la mort du général de Gaulle. Tout comme le succès des émissions ou des films historiques, tels la série  Versailles, ce goût pour le faste de l’Ancien régime éclaire le rapport ambigü qu’entretient la République avec la royauté. La France reste fascinée par une monarchie dont elle n’a pas envie qu’elle revienne !

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Depuis la restauration menée de 2012 à 2015 par la Direction des Affaires culturelles, la façade de Saint-Denis a retrouvé  son éclat. Il ne lui manque plus que sa tour nord et sa flèche, fragilisées par la reconstruction au XIXe siècle et finalement  démontées par l’architecte Viollet le Duc.

Le XXe siècle marginalise encore l’abbaye de Saint-Denis, située en banlieue, à l’écart de Paris… Comment ressort-elle peu à peu de l’ombre ?

Au fil du XXe siècle, la Révolution industrielle transforme Saint-Denis en une ville de banlieue, agglomérée à d’anciens villages sans identité. La façade encrassée, noircie par les fumées des usines, l’abbaye perd son lien direct avec la Nation. On s’en méfie d’autant plus qu’elle a été restaurée dans le style néo-médiéval, qu’elle n’est plus « authentique ». Les fouilles menées dans la basilique de 1940 à 1960 ont pourtant apporté des découvertes majeures sur le Haut Moyen Age. Ainsi, en 1959, l’archéologue Michel Fleury a retrouvé intact le sarcophage de la reine franque Arégonde, épouse de Clotaire 1er, avec ses vêtements et ses parures. C’est l’unique tombeau qui n’a pas été pillé au cours des temps! Trois autres événements font ensuite évoluer la situation : l’obtention du statut d’évêché pour Saint-Denis, en 1966, qui redonne du prestige à son abbaye; l’arrivée du métro en 1973, qui donne à la municipalité l’occasion de rénover les abords de la basilique et de créer un centre d’archéologie aujourd’hui réputé.  Enfin, l’inauguration du Stade de France, en 1998, qui réattire l’attention du public sur Saint-Denis et son monument-phare… Grâce à la restauration menée de 2012 à 2015 par la Direction des Affaires culturelles, la façade de Saint-Denis a retrouvé aujourd’hui son éclat, sa blancheur calcaire, la magnificence de ses sculptures. Soulignons au passage le parti pris des architectes, qui sont revenus à son aspect du vrai XIXe siècle plutôt que de créer un faux XIIe siècle !

A quelle place peut prétendre ce monument à l’histoire mouvementée dans le futur Grand Paris ?

Rattachée au Centre des Monuments Historiques, la basilique de Saint-Denis multiplie aujourd’hui les initiatives pour attirer le public, avec des expositions de qualité, d’excellents parcours guidés, notamment pour les scolaires, des concerts lors du festival de musique classique de Saint-Denis. Malgré ces efforts, elle n’accueille aujourd’hui que 140 000 visiteurs annuels, un chiffre faible au regard des records de la cathédrale Notre Dame de Paris jusqu’en avril dernier (13 millions d’entrées/an, ndla). Troisième ville d’Ile de France pour le nombre d’habitants, Saint-Denis pâtit encore indubitablement de sa position excentrée par rapport à Paris et de son image de banlieue déshéritée. Mais elle a bien des atouts pour redevenir à l’avenir un secteur prisé : son université, ses quartiers industriels réhabilités, sa future gare RER de Saint-Denis-Pleyel, pièce-maîtresse du Grand Paris Express, dont les travaux ont débuté en 2018. Quant à la basilique, elle a toutes les chances de retrouver sa tour nord et sa flèche, grâce au projet de chantier participatif en route.

Un dernier rêve pour Saint-Denis ?

Ce serait la création d’un musée de l’Œuvre près de la basilique ! D’innombrables vestiges ont été découverts grâce aux fouilles depuis les années 1960. Dispersés dans divers dépôts architecturaux, ils sont peu mis en valeur. Les regrouper en un même lieu, leur offrir les techniques de la muséographie d’aujourd’hui, permettrait de raconter au public la vie de l’abbaye au Moyen Age.

Suivez la flèche!

C’est parti! Pour redonner à la basilique sa tour Nord surmontée de sa flèche, mise à bas au XIXe siècle, l’association Suivez la flèche, portée par la ville de Saint-Denis et le territoire de Plaine Commune, a réussi à lever suffisamment de fonds via le mécénat. L’argent réuni va maintenant être investi dans la construction de l’échafaudage et des structures d’accueil permettant la visite du chantier. La suite des travaux sera financée grâce aux recettes générées par les visiteurs, sur le modèle de Guédelon, dans l’Yonne. Depuis 1997, ce château-fort se bâtit sous les yeux du public, selon les techniques du Moyen Age. Pour suivre et soutenir le projet : Suivez la flèche, tout simplement.

A VÉLO, C'EST PLUS RIGOLO

Du parc de la Villette, on peut rallier la basilique de Saint-Denis à vélo, par la piste cyclable qui longe le canal Saint-Denis. La map ici. Infos sur Seine Saint-Denis Tourisme.

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