Un LIVRE, UNE VOIX

Les Cavaliers, Joseph Kessel, éd. Folio Gallimard.

Les grandes steppes d’Asie centrale, les cavaliers mongoles, le féroce jeu de bouzkachi… Dans ce roman vibrant, Joseph Kessel donne voix à l’inoubliable Guardi Guedj, le conteur centenaire à qui son peuple a donné le plus beau des noms : « Aïeul de tout le monde ».

Un extrait de 2 mn 37 lu par Jeanne Fichou.

« – Préparez-vous, dit-il, à un grand effort. Un effort sur vous-mêmes. Je veux, hommes qui n’avez jamais quitté les flancs, les creux et l’ombre des montagnes, je veux vous amener par le regard de l’esprit dans la grande steppe du Nord.  
A l’intensité, la gravité de ces masques aux paupières jointes Guardi Guedj vit qu’ils se livraient à lui sans réserve.  
– C’est bien, dit-il. Vous allez penser maintenant à une vallée. Une vallée comme aucun de vous n’en a jamais connu. . . Plus large et plus longue que la plus longue et la plus large de toutes celles que vous avez, dans toute votre vie, traversées.  
Des voix s’élevèrent, comme en transe.  
– Plus que celle de Ghazni ?  
– Plus qu’à Djellalabad ?  
– Que le Koh Doman ?  
Guardi Guedj répondit :  
– Cent fois davantage.  
Et il s’écria :  
– Allons, mes amis, au travail : écartez, repoussez toutes les murailles de rocs. . . A gauche, à droite, et devant et derrière. . . Poussez. . . poussez encore. . . Plus loin. . . plus loin toujours. . . Elles diminuent, n’est-il pas vrai ? Elles fondent. . . Elles tombent. . . Elles n’existent plus.  
– En vérité, en vérité, chuchota la foule. . . Il n’y a plus rien !  
– N’ouvrez pas les yeux, ordonna Guardi Guedj. Et regardez maintenant cette vallée sans barrière, sans obstacle, sans fin, plate, nue, libre, lisse, avec, de tous côtés, pour seule frontière, le ciel.  
– Nous voyons, nous voyons ! crièrent les aveugles en extase.  
– Et là, continua Guardi Guedj, s’étale jusqu’au bout du monde un tapis d’herbes et quand elles sont touchées par le vent, ce tapis sent l’absinthe à l’odeur amère. Et le plus rapide coursier peut galoper jusqu’à tomber de fatigue, et le plus vif oiseau voler jusqu’à l’instant où ses ailes ne le supportent plus. Ils n’apercevront rien et toujours que des herbes, des herbes et des herbes d’où l’absinthe répand son parfum.  
Guardi Guedj respira difficilement et acheva d’une voix lasse et douce comme un froissement de plumes :  
– Telle est la steppe.  
– La steppe, répéta l’assistance avec transport.  
Les hommes en tchapane criaient plus fort que les autres. Non point par orgueil pour leur contrée. Mais parce qu’ils étaient émerveillés de lui découvrir, dans les paroles de Guardi Guedj, la beauté qu’ils avaient cessé de voir, à force d’y vivre. » (…)

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