Confinée dans la ville, je ne manque de rien, sauf de grands espaces. Alors je rêve de mers, de lacs, de rivières.
Un jour indécis se lève sur Luang Prabang, l’ancienne capitale du petit royaume du Laos. De la rivière Nam Kahn, monte une brume légère, que la chaleur dissipera bientôt. Silhouette menue, un moine traverse le pont vers la rive en face, où sont les jardins du temple. Quand la mousson reviendra, en juin, cet éphémère échafaudage de bambou sera balayé comme un fétu par les eaux devenues grosses. Les gens d’ici ont l’habitude, ils reconstruiront le pont. Dans notre imaginaire, d’autres chemins aquatiques se dessinent. Là le lent va-et-vient des felouques baladant les touristes sur le Nil. Ici le traversier du Léman reliant Suisse et France. L’eau, c’est le passage vers ailleurs.
Le soir tombe sur le lac Senanayake Samudraya, dans le parc national de Gal Oya, à l’ouest du Sri Lanka. Le troupeau d’éléphants sauvages que nous avons observé un moment s’est éloigné au couvert de la forêt. Notre barque à moteur attend sur le rivage, prête à nous ramener au village avant la nuit noire. Mais la lumière est si douce… Aucun d’entre nous n’a encore envie de repartir. Perchée sur un rocher, Delphine improvise une salutation au soleil couchant. Fêtes de l’eau en Asie du Sud-Est ou bains dans les lacs de Finlande, peu importe que nos rituels aquatiques soient improvisés ou ancrés dans la tradition. L’eau, c’est notre lien au sacré.
Faible courant et brise molle sur la Loire en ce soir d’été. A la proue, le pilote a sorti la bourde, une longue perche de bois, pour pousser notre gabarre sur les eaux du fleuve. Chaumont-sur-Loire et son château s’éloignent. Nous louvoyons entre les îlots de sable. Canards col-vert, sarcelles, chevaliers, bécassines, oies cendrées… Le petit peuple de l’eau entame son concert vespéral. L’oeil capte un reflet mouvant. Cette femme au parasol contemplant l’océan indien au couchant ou ce héron garde-boeuf se mirant dans les eaux du Nil ressentent-ils aussi le mystère? L’eau, c’est le miroir du ciel.
Du vieux pont rouillé sur la route, on a d’abord cru à une fête. Mais non, ce patchwork de couleurs vives, ce n’est que le linge mis à sécher au bord de la rivière. Et ces cris joyeux, ce sont les femmes qui s’interpellent ou grondent les enfants. Aujourd’hui, c’est jour de lessive à Sao Tomé, petite île ancrée en Atlantique, à 300 km au large des côtes du Gabon. Pas de machine à laver pour les dames de Sao Tomé. Pas d’eau au robinet pour cette jeune montagnarde du Haut-Atlas. Et plus de meunier au vieux moulin des gorges de la Vis, dans les Cévennes. Pourtant, l’eau continue de couler et de pourvoir à nos besoins essentiels. L’eau, c’est la vie.
.
A peine franchi le viaduc qui relie l’île d’Oléron au continent, le paysage marin se transforme. Dans la passe de Saint-Trojan, une barge plate se faufile entre les coursières, ces chemins d’eau qui relient les parcs ostréicoles. Ici les naissains captés en mer grandissent pour devenir Fines de claire, Spéciales de claire ou Pousses de Claire, la Rolls Royce des huîtres, à la chair grasse et vert-bleutée. Récolte des huîtres à Oléron, pêche aux alevins à Madagascar, coup de filet sur les lacs de Sumatra, les paysans de la mer sont à l’ouvrage partout. L’eau, c’est la promesse de nourriture.
Sur la R336 venant de Galway, Padraig a tourné à gauche, direction l’archipel de Ceantar na nOilenan. Entrecoupée de ponts de pierre, la route étroite court entre deux bras de mer. Arrêt sur l’île d’Annaghvaan. Face au chaos de roches, de sable, de varech découvert par la marée basse, deux cottages blancs à toits de chaume se réchauffent au soleil. Poser ses bagages et passer là quelques jours ou une vie? Made in Irlande, Norvège ou Moorea, calées au bout d’un fjord ou sous les cocotiers, les maisons au bord de l’eau nous donnent de sacrées envies de changer de vie. Rêves fugaces et pourtant sans cesse recommencés. L’eau, c’est la vue de la fenêtre.
Merci à Christian Goupi pour sa collaboration. Découvrir son site ici.