DE ROUEN AU HAVRE, AU FIL DE LA PISTE CYCLABLE LA SEINE À VÉLO, LA SEINE DÉROULE SES BOUCLES ENTRE FORÊTS DORÉES ET FALAISES DE CRAIE . EN CHEMIN, ON COLLECTIONNE ABBAYES NORMANDES, PAISIBLES VILLAGES ET VERGERS FRUITIERS. MES 5 ÉTAPES COUP DE COEUR.
Cet automne, la vallée de la Seine coche pas mal de cases pour un week-end réparateur. Moins de 2 heures de route de Paris ou d’Amiens. La piste cyclable Seine à vélo (160 km de Rouen au Havre) reliant jolis villages de briques et de dentelles, vergers de pommiers, forêts perchées sur le plateau. Des abbayes grandioses, Jumièges et Saint-Wandrille. Et quelques spots gourmands. Ce petit coin de Seine Maritime est aussi une belle occasion de renouer avec l’histoire de la Seine. Ici, tout nous rappelle qu’avant d’être endigué et régulé à la fin du XIXe siècle, c’était un fleuve sauvage semé d’îlots et de bancs de sable, vivant au rythme des crues et des marées. Au IXe siècle, raconte La Vie de Saint Philibert, les moines de l’abbaye de Jumièges y pêchaient la baleine. Et durant des siècles, à l’époque des grandes marées, le mascaret, cette vague née de la rencontre entre la marée montante et le courant descendant du fleuve, remontait loin dans l’estuaire. Il pouvait atteindre 4 mètres de haut à Caudebec, son point culminant! Décollage du village de Villequier pour 5 balades à croquer.
Une église au clocher d’ardoises, des maisons de briques et de bois, des ruelles pavées, la forêt en arrière-plan, sur le plateau… Il est à croquer, ce petit village de Villequier-Rives en Seine posé entre deux ponts, celui de Brotonne et celui de Tancarville (le rouge, comme à San Francisco). D’abord simple petit port fluvial, il a vécu son âge d’or à partir de 1830, avec l’arrivée des Parisiens qui y venaient en villégiature. Ici, on pose son sac de week-end à la Maison Plume, une demeure au charme XIXe tournée vers le fleuve, les oiseaux, les cargos en route vers le large (lire mon test Maison d’hôtes). La piste cyclable La Seine à vélo passe juste devant. Et on est à deux pas de la Maison Vacquerie, devenue Musée Victor Hugo. Outre des souvenirs du poète, on y découvre la triste histoire de sa fille Léopoldine et de son jeune époux Charles Vacquerie, morts noyés dans la Seine après le naufrage de leur barque. C’était le 4 septembre 1843. La tragédie inspira à Hugo un des plus poignants poèmes des Contemplations :
“Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. (…)
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur.
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur”.
Halte à Caudebec-en-Caux, à 4 km/15 mn à vélo de Villequier, pour découvrir MuséoSeine, le musée de la Seine normande, ouvert en 2016. Dans ce beau bâtiment de bois et de verre, inspiré de l’architecture navale, on explore l’histoire du fleuve depuis l’Antiquité, au fil d’un parcours à la fois pédagogique et interactif. Agrémenté de pièces archéologiques et de documents anciens, un vidéo-montage retrace les raids Vikings du IXe siècle et la mise à sac des abbayes de Jumièges et Saint-Wandrille, qui tiraient leurs revenus de la pêche et des péages sur le fleuve. La toponymie locale a gardé des traces de cette période : Caudebec vient par exemple de Kalt Bec, le ruisseau froid. Plus loin, on embarque virtuellement à bord d’une gribane, ces barques à voile et à fond plat qui sillonaient la Seine jusqu’au XIXe siècle, chargées de laine, de fruits, de bois, de pierres extraites des falaises du pays de Caux… Bilan de la visite : une scénographie agréable, beaucoup de belles découvertes, on ne s’ennuie pas une minute…
Après le pont de Brotonne, cap sur l’abbaye Saint-Wandrille. Fondée en 649 par Wandrille, intendant des domaines du roi Dagobert, détruite et reconstruite à plusieurs reprises, elle abrite une communauté de 30 moines bénédictins, qui consacrent leur vie à la prière et au travail. Ici, les visiteurs viennent découvrir les ruines de l’ancienne abbatiale ou assister à un des six offices quotidiens dans la nouvelle église en bois, aménagée dans l’ancienne grange. Les moines y pratiquent le chant grégorien. Le jour de mon passage, c’est le Père Lucien, plus tout jeune mais bon pied bon oeil, qui m’accueille dans le cloître du XIIIe siècle. Au pied des colonnes sculptées dans la pierre blanche du pays de Caux, il me montre une frise représentant… des plants de houblon. “La règle de Saint Benoit veut que les moines assurent leur subsistance par le travail, cela nous a encouragés à développer notre nouvelle activité”, m’explique-t-il. Eh oui, depuis 2016, les moines de Saint-Wandrille se sont lancés dans le brassage de leur propre bière d’abbaye. Une ambrée à dominante maltée accompagnée de notes de fruits, de caramel et de réglisse. Testée et validée!
Via le pont de Brotonne, on rejoint à vélo la rive en face, direction Arelaune en Seine, Notre-Dame-de-Bliquetuit, Yainville, puis le bac vers Jumièges…. Nous voilà sur la Route des fruits, semée de vergers fruitiers et de croquignolettes fermes en briques et colombages. Dans cette partie de la vallée de la Seine, les habitants cultivent les pommiers, les poiriers, les pruniers et les cerisiers depuis le XVIIe siècle. Et si ça pousse si bien, c’est que les falaises encadrant le fleuve protègent les terres alluviales des vents froids et réfléchissent la chaleur. Adeptes de l’agriculture raisonnée, Claire et Pascal Crevel palissent leurs fruitiers à hauteur d’homme, pour faciliter la cueillette et vendent leur récolte « à la barrière », route du halage, au Mesnil-sous Jumièges. L’occasion de goûter la pomme locale Benedictin, à la chair croquante et juteuse. Ca met en appétit pour les recettes normandes aux plantes du chef Christophe Mauduit, à l’Auberge des Ruines de Jumièges! Quelques délices d’automne : crème de courge/pois cassés, cochon rôti au foin, pomme au four/raisin-noix.
Arriver par un bel après-midi d’automne à l’Abbaye de Jumièges, c’est magique. Balayées par le soleil, ses ruines majestueuses se dressent au coeur d’un vaste parc, d’où l’on aperçoit la Seine au loin. Elle fut fondée au VIIe siècle par Philibert, un moine formé à la cour du roi Dagobert, à peu près à la même époque que Saint-Wandrille. Son histoire reflète ensuite les péripéties de la création du Duché de Normandie, des premiers raids viking du IXe siècle au traité de St-Clair-sur-Epte, signé en 911 entre le chef viking Rollon et le roi des Francs Charles III. Les princes normands, devenus chrétiens, en font une université élitiste et un grand centre de production de manuscrits enluminés. 360 de ces trésors sont encore conservés à la Bibliothèque patrimoniale de Rouen. Construite de 1040 à 1067, l’église Notre Dame compte parmi les grandes réalisations du règne de Guillaume le Conquérant. Mise en vente comme bien national et pillée après la Révolution, l’Abbaye de Jumièges dut attendre 1947 pour être classée monument historique. Aujourd’hui, grâce à des modélisations en 3D pilotées par un comité scientifique, on peut découvrir le site tel qu’il était à quatre époques, du IXe au XVIIIe siècle. Ouverte aux quatre vents, l’église Notre Dame, sa nef et son choeur reprennent vie et couleurs, par la magie de l’IPad…
Infos hébergements, visites et activités sur la vallée de la Seine sur le site Seine Maritime, la Normandie impressionniste et au bureau d’accueil touristique de Jumièges.
Pour la map et les étapes de la piste cyclable La Seine à vélo, c’est ici.
Depuis Paris, 160 km en voiture par la A13 ou en train, 1 h 40 de la gare Saint-Lazare à Yvetot puis bus 30 mn jusqu’à Jumièges. Infos sur Oui Sncf. A partir de 9,50 €/jour la location de vélo classique ou électrique au Bureau d’accueil touristique de Jumièges (Tel : 02 35 37 28 97) ou chez Cycles Velhano à Caudebec-en-Caux (Tel : 02 35 96 24 77).
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