La borne kilométrique
L’icône
Au village de Sandicoly, dans la région du Siné Saloum, au Sénégal.
Comme on les a comptées quand on était gosses, pour passer le temps sur le chemin des vacances, ces bornes qui disaient les kilomètres encore à parcourir jusqu’à destination! Vestiges de notre enfance, elles ponctuent encore les routes départementales de France et d’ailleurs. Mais que nous racontent-elles? Les premières bornes connues sont celles qui jalonnaient les voies romaines : les empereurs avaient alors à coeur de marquer leur territoire. Saut dans le temps et changement de régime. Sous Louis XV, à partir de 1745, des bornes en pierre de 1,30 mètres de haut, ornées d’une fleur de lys, sont mises en place sur les voies royales toutes les mille toises, soit une demie-lieue, soit 1949 mètres. Sur la route vers Esternay, dans la Marne, il en existerait encore 22. Elles indiquent alors la distance qui les sépare du parvis de Notre Dame, le point de départ de toutes les routes de France. A la Révolution de 1789, les fleurs de lys sont martelées et parfois remplacées par des bonnets phrygiens, symboles de la République. Dans la foulée, les grandes routes construites au XVIIIe siècle sont marquées de bornes tous les kilomètres : le système décimal est alors l’apanage de la Raison et des Lumières. A l’époque, elles s’élèvent à un mètre du sol et leur sommet est peint en rouge, pour être bien visible de loin. Dans les villes, où les rues et les trottoirs sont trop étroits, on « peint » des bornes sur le mur, comme on peut encore le voir à Ligugé, dans la Vienne, sur la D 86.
Mais la République a besoin de toujours plus d’ordre! Dans les annales des Ponts et Chaussées de 1853, figure cette circulaire adressée aux préfets par le ministre des travaux publics : “Les inspecteurs des Ponts et chaussées ont été frappés par la diversité des dispositifs adoptés par Messieurs les ingénieurs pour la forme et les inscriptions des bornes kilométriques placées sur les routes. Ces dispositions changent non seulement d’un département au département voisin, mais souvent aussi dans les arrondissements d’un même département. Il nous semble important de faire disparaître cette bigarrure, que rien ne justifie”. Et de préciser : “L’administration doit s’abstenir de dépenses qui ne sont pas indispensables”. Dont acte. Depuis 1853, la législation française a imposé la forme, la numérotation, les inscriptions et les matériaux des bornes, d’abord en pierre, puis en fer, puis en ciment… Après une pétition lancée par André Michelin, lors du salon de l’automobile de 1912 à Paris, les bornes ont aussi été installées perpendiculairement à la route, afin que les automobilistes puissent les lire aisément. Le rouge s’est imposé en 1920 pour les nationales, le jaune à la fin des années 1940 pour les départementales. Mais comme les autorités françaises ont déclassé nombre de nationales en départementales en 2006, la plupart des bornes sont passées du rouge au jaune. Désormais, elles sont aussi moulées en polyester, un matériau moins onéreux et plus sécuritaire, à défaut d’être plus solide. Mais les autoroutes ne les ont jamais adoptées. Aux nostalgiques, restent les boîtes de nougats de Montélimar, à l’effigie des bornes de la Nationale 7… ou le Jeu des 1000 bornes, qui fut inventé en 1954.
Mais au petit bonheur des voyages, on retrouve encore nos bonnes vieilles bornes aux quatre coins de l’ancien empire colonial français, du Laos (où grandit Pierre Desproges) au Sénégal (d’où vient le papa d’Omar Sy). Et c’est bêta, mais ça fait toujours chaud au coeur de les croiser.
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