Demeures d’Histoire
REFUGE DE BANDITS OU FOLIE ANACHRONIQUE D’UN EMPEREUR, LE HAUT-KŒNIGSBOURG EST UN CHÂTEAU HORS DU TEMPS.
« Le château du Haut-Kœnigsbourg, ou on l’aime ou on le déteste ! » souligne Jean, notre guide. Nous voilà prévenus ! Il faut dire que cette forteresse ne se laisse pas cerner facilement. Château-fort construit au XVe siècle – époque où plus personne n’en construit – sa rénovation datée répondait aux exigences d’un empereur qui, à l’orée de la Première guerre mondiale, voulait symboliser l’appartenance de l’Alsace à la terre germanique tout en faisant de ce lieu une vitrine à la gloire de l’Allemagne. Et tout ça aux portes de la France ! Du haut de ses bastions, la vue est juste incroyable. La plaine d’Alsace déploie ses villages colorés, fleuris et proprets, et ses alignements de vignes ; à 50 km, la cathédrale de Strasbourg et les monts de la forêts Noirs ; plus près, les reflets argentés du Rhin et loin, tout là-bas – quand le ciel est clair – les sommets alpins.
Un horizon vaste comme un empire… C’est probablement ce qu’a pensé le Kaiser Guillaume II, lorsqu’en 1908, il peut enfin inaugurer son château-fort ! Retour en arrière. Au XIIe siècle, l’Alsace est l’une des terres les plus occidentales du Saint-Empire romain germanique. Frangée par les monts vosgiens, la plaine alsacienne est un important carrefour commercial où circulent nombre de marchandises, dont le sel et l’argent. Éperon rocheux de 750 mètres, le mont Staufenberg y est une formidable vigie. Les premières mentions d’un château en son sommet datent de 1147, mais c’est en 1462 qu’il fait parler de lui. Il est alors aux mains d’une famille bien peu recommandable qui s’est associée à des brigands de grands chemins pour dévaliser les convois de marchandises. Excédées, les villes de Strasbourg, Bâle et Colmar montent une armée. Le château est pris et rasé en 4 jours !
Haut-Kœnigsbourg et marchés de Noël
La Trêve des confiseurs est l’une des belles périodes pour se rendre au château. Non seulement il s’y passe toujours quelques évènements, mais de plus, vous pourrez profiter des nombreux marchés de Noël des villages alentours comme ceux de Riquewihr, l’un des plus beaux villages de France, de Sélestat, berceau de l’arbre de Noël ou de Ribeauvillé, dont les rues sont investies par les baladins.
Le donjon et ses 62 mètres de hauteur domine la plaine d’Alsace. Le domaine du château épouse la forme de l’éperon rocheux ; ses enceintes entourent un terrain de 270 m de long pour 40 m de largeur.
Pas question de laisser pour autant le lieu vacant. L’empereur Frédéric III de Habsbourg le confie à la famille Thierstein qui a la charge d’en faire une place forte. « Nous sommes alors à la fin du XVe siècle. En France c’est le début de la Renaissance, on ne construit plus de châteaux forts, mais des palais plus raffinés et accueillants, comme Chenonceau… » souligne Jean. Avec son donjon, ses murs jusqu’à 10 mètres d’épaisseur, son pont-levis, ses herses, ses meurtrières, sa basse cour et son haut jardin, le Haut-Kœnigsbourg, lui, se veut imprenable. Il l’est, en tout cas jusqu’à la guerre de Trente ans. Ce long conflit oppose à l’origine le Saint-Empire romain germanique aux états protestants allemands, mais il sert surtout de prétexte aux grandes puissances européennes pour régler des querelles tout autant religieuses, politiques, stratégiques que territoriales. Dans ce vaste champ de batailles, la centaine de soldats germains assiégée dans la forteresse par les Suédois (alliés aux Français) résiste 53 jours mais finit par se rendre faute de provisions. Le château est pillé, incendié, ruiné et oublié.
« J’ai découvert ce château, il y a plus de 20 ans grâce au travail du photographe alsacien Yves Noto Campanella. Déjà sur papier, il avait quelque chose d’improbable, le parcourir en vrai fut un plaisir quasi-enfantin. »
La guerre se termine par la signature du traité de Westphalie en 1648. La carte de l’Europe est redessinée. Les Alsaciens sont désormais Français. Pour deux siècles. Avec la victoire allemande de 1870, l’Alsace et son château, du moins ses ruines (que la France avait classées monument historique en 1862), se retrouvent de l’autre côté de la frontière. C’est le temps du IIe Reich, celui qui se veut le digne descendant de l’ancien Saint-Empire. En 1900, le Kaiser Guillaume II décide de relever les ruines et fait appel à un architecte autodidacte de 34 ans, Bodo Ebhardt. Il demande de reconstruire le « château du roi » (Kœnigsbourg) tel qu’il était au temps de sa splendeur, celle du quinzième siècle.
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Les plans de l’empereur sont de faire du site un musée du Moyen-âge allemand, mais surtout de graver dans la pierre, ici le fameux grès rose des Vosges, l’appartenance séculaire de la terre alsacienne à l’Empire germanique. Pour rebâtir le Haut-Kœnigsbourg, l’architecte peut s’appuyer sur les 70 % du château encore debout (principalement les parties basses) et les connaissances que ce début du XXe siècle a des temps médiévaux. Pour le reste, il doit faire preuve d’imagination… Et ne pas oublier qu’il doit autant satisfaire un empereur qui veut marquer les esprits que les attentes d’un public avide d’armures, de canons et de mâchicoulis. Environs 200 artisans s’affairent sur le chantier, ils ont à leur disposition un matériel perfectionné, alimenté à l’électricité. Les travaux durent 8 ans.
Les historiens d’alors se disputent pour savoir si le donjon doit être carré ou rond (carré, comme le prouve les fondations) et au final le trouvent trop grand pour un château médiéval (Il l’est ! Mais l’harmonie du bâtiment y gagne !). Les puristes moquent aussi les ailes du moulin dans un pays où ils n’en sont jamais pourvus et les décors trop « Renaissance » de l’escalier d’apparat. Qu’importe, le contrat est rempli, Bodo Ebhardt parvient à redonner au Haut-Kœnigsbourg son allure de forteresse moyenâgeuse. En 1908, l’empereur peut inaugurer son château-musée. Il s’y est fait installer une salle de réception où l’aigle impérial règne en maitre, et une cuisine moderne afin de recevoir ses hôtes de marque. Ni l’une ni l’autre ne serviront. La Première guerre mondiale éclate. Dix ans plus tard, l’Alsace redevient une terre hexagonale, et le Haut-Kœnigsbourg, le plus germanique des châteaux français ! Et c’est aussi pour cela qu’on l’aime.
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La Salle des fêtes, une salle « moyenâgeuse » imaginée par Guillaume II, certes amateur d’art médiévaux, mais repensée à la gloire de l’Empire allemand.
DÉCOUVRIR LE HAUT-KOENIGSBOURG
Renseignements : Sur le site officiel du château.
S’y rendre : Le château se trouve sur la commune de Orschwiller en Alsace. Il est situé à 26 km au nord de Colmar et 55 au sud de Strasbourg. Il est possible de s’y rendre en navette, depuis la gare de Sélestat.
A lire. Haut-Kœnigsbourg de Maryvonne Waechter et Yves Noto Campanella, Édition Pierron.
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