L’entretien

Gérard Cambon

« Je pars toujours en voyage avec une valise vide »

Dans le monde que réinvente le sculpteur Gérard Cambon avec des matériaux récupérés, des  personnages grimaçants regardent passer la vie accoudés au balcon ou la traversent dans d’improbables “locomobiles”, comme suspendus dans le temps et l’espace. Son énergie, son inspiration, cet adepte de l’art « oustsider » les puise au fil des voyages.  

Interview Portrait - Gérard Cambon

BIO EXPRESS

3 août 1960 : Naissance à Toulouse.

1981-1984 : Etudes à l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse. 

1985 : Arrivée au Ministère des Transports à Paris.

A partir de 1995 : Intense période de production artistique, suite à une leucémie. 

1996 : Première exposition à la galerie Béatrice Soulié, Paris 6e, où il expose encore régulièrement.

1999 : Prix du public au salon d’art contemporain MAC 2000 à Paris.

2000 :  Première exposition à la galerie The American Primitive à New York. En tant qu’artiste « outsider » (autodidacte), expose depuis dans des galeries internationales et des salons d’art contemporain tels Outsider Art Fair à New York, Art Elysées à Paris, Art Karlsruhe en Allemagne.

2017 : Création de la tribu des Nambias. 

Expos/pièces/Presse sur le site de Gérard Cambon

BIO EXPRESS

3 août 1960 : Naissance à Toulouse.

1981-1984 : Etudes à l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse. 

1985 : Entrée au Ministère des Transports à Paris.

A partir de 1995 : Intense période de production artistique, suite à une leucémie. 

1996 : Première exposition à la galerie Béatrice Soulié, Paris 6e, où il expose encore régulièrement.

1999 : Prix du public au salon d’art contemporain MAC 2000 à Paris.

2000 :  Première exposition à la galerie The American Primitive à New York. En tant qu’artiste « outsider » (autodidacte), expose depuis dans des galeries internationales et des salons d’art contemporain tels Outsider Art Fair à New York, Art Elysées à Paris, Art Karlsruhe en Allemagne.

2017 : Création de la tribu des Nambias. 

Expos/pièces/Presse sur le site de Gérard Cambon

« C’était l’été 1966, j’avais 6 ans. Je partais pour la première fois en vacances en Espagne avec ma famille. 600 km de Toulouse à Peniscola, sur la côte méditerranéenne. La grande migration! Je me souviens de mon père au volant de la Renault 8, de la chaleur et de la poussière sur la route, de la fumée des poids lourds qui me soulevait le coeur. Comme beaucoup d’autres Français moyens (mon père était cheminot, ma mère fonctionnaire des impôts), nous découvrions l’Espagne et cela nous semblait aussi exotique que le Japon ou la Papouasie. Franco était encore au pouvoir, les policiers de la Guardia Civil portaient des tricornes, toutes les maisons étaient blanches et aveuglantes. Les jours de fête, il y avait des lâchers de taureaux sur la plage, au pied du château médiéval. Nous logions dans une petite pension de famille qui proposait de rembourser les jours de pluie. Mais il ne pleuvait jamais à Peniscola! Dans mes souvenirs d’enfant, il y a juste le soleil, les bains de mer, les jeux de ballon avec mon père et mon frère… »

« Après quelques orientations hésitantes, j’intègre l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, puis je décroche un emploi de fonctionnaire d’Etat au Ministère des Transports. Je me marie, puis j’ai deux enfants, Etienne et Elise. L’été, on découvre en famille la Toscane, le Connemara…  Je cours aussi les brocantes des villages du Gers, des Landes, du pays de Gap, où j’adore dénicher des objets insolites. A mes heures libres, je prends plaisir à créer des petits personnages à la Daumier en pâte à papier, à leur fabriquer des “théâtres” miniatures, des véhicules imaginaires avec des matériaux récupérés : bois, ferraille, cuir… Ce n’est encore qu’un passe-temps, un exercice zen pour m’évader. Mais déjà, mes “locomobiles” évoquent l’évasion : les personnages sont libres, en action. Ils partent à l’aventure, ils tracent leur route. Par opposition à mes bas-reliefs, qui mettent en scène des curieux aux fenêtres observant la vie, les voisins, les passants dans la rue. »

« En 1995 – j’ai alors 35 ans -, un accident bouleverse le cours de ma vie. Atteint d’une leucémie, je suis hospitalisé pendant six mois. C’est à ce moment que je décide de réorienter ma vie et de donner une priorité à la sculpture, tout en continuant à travailler à temps partiel au Ministère. Lorsqu’on se voit annoncer une rémission et offrir une deuxième vie, il n’y a plus de limite. Plus rien n’est fondamentalement grave ou inaccessible. C’est comme un jeu où l’on n’a plus rien à perdre. Tout s’enchaîne alors très vite : la rencontre en 1996 avec la galeriste Béatrice Soulié à Paris (chez laquelle j’expose encore régulièrement), le premier prix au Salon d’art contemporain Mac Paris en 1999, puis mes premières expositions aux Etats-Unis… ».

« J’avais alors la chance d’avoir un ami, formateur à Air France, qui me propose de partir quelques jours avec lui à New York, billets d’avion et logement gratuits. Hop, j’achète le dernier numéro de Raw-Vision, le magazine de référence de l’art “outsider”, je liste les cinq plus grandes galeries de New York et je me retrouve, avec une grande inconscience et mon classeur photos sous le bras, à faire du porte-à-porte entre le bas-Broadway et Chelsea. C’est là que tout se passe alors. J’atterris dans des endroits incroyables, des galeries de l’ordre du fantasme pour moi, dans les étages de vieux immeubles new-yorkais en briques, aux escaliers qui sentent l’encaustique, une atmosphère de film. Je parle très mal l’anglais, je n’ai bien sûr pas de rendez-vous et j’arrive en annonçant “Hello, I’m a french artist!”. Bref, du grand n’importe quoi! Malgré tout, le directeur de la très côtée “American Primitive gallery” accepte de me recevoir, prend le temps de regarder mon book et décide d’exposer deux de mes pièces. Un mois plus tard, il les a vendues et me propose de participer à l’Outsider Art Fair de New York, le plus grand salon du genre. C’est le début d’une histoire américaine.»

« Mon objectif, c’est de créer des atmosphères en associant des éléments qui n’ont pas vocation à être réunis, un crâne de mouton, une paire de jumelles et un moulinet de pêche, par exemple. En les fusionnant, je fabrique un environnement ou un objet qui semble avoir toujours vécu. Petit à petit, j’intègre de nouveaux matériaux comme le verre, les végétaux, qui me permettent de tracer une ligne, de pondérer par du doux le dur du métal, du bois… Je lie les éléments avant de les peindre et de les patiner, couche par couche. Le végétal occupe une part importante. Pour la collecte, je suis à l’affût : cela peut être une graine ramassée sur le trottoir, sur le chemin du RER ou des fruits dans le jardin de mon père à Toulouse. C’est dans sa serre que j’ai commencé à faire sécher grenades, citrons, oranges, nashis (pommes-poires d’origine asiatique), avant de les fixer avec une technique propre. Ma famille, mes amis me rapportent aussi des ingrédients venus de divers pays : graines de baobab du Burkina Faso, huîtres géantes du Chili, capsules de bière oxydées et j’en passe. Mais l’Asie reste mon terrain de cueillette favori. Cela remonte à mon premier voyage en Thaïlande, en 2006. J’y suis parti avec une grande valise vide, à l’intérieur de laquelle j’avais glissé une autre petite valise contenant mes affaires, des gants, des cisailles, bref tout l’attirail nécessaire.»

« Heu, des graines… De Bangkok, je rejoins les îles de Koh Samui, Koh Pha Ngan. Je m’installe dans une guesthouse et je loue un scooter. Ce mode de transport  est une révélation pour moi : il m’offre une parfaite autonomie et un sentiment de liberté totale. C’est un immense plaisir de circuler sur les petites routes désertes au milieu des forêts ou en bord de mer. Je sillonne les zones peu touristiques, la côte ouest sauvage de Koh Samui, les mangroves, les plages désertes, les coulisses des villages de pêcheurs. Et je ramasse tout ce que je trouve, des graines bien sûr, des végétaux non vivants, mais aussi des boîtes de conserve oxydées, des petits flotteurs en plastique échoués sur la plage, des squelettes d’oursins… Parfois, je déniche des objets d’art populaire hors d’usage, comme ce jeu d’une centaine d’hameçons rouillés accrochés à un morceau de bambou sculpté, acheté à une famille de pêcheurs qui n’en revenait pas. Avant de rentrer à Paris, je fais une escale à Bangkok, pour me procurer des amulettes au marché du même nom, des lots entiers de pinceaux dans Chinatown. Au retour, je me retrouve avec une moisson fabuleuse. » 

« C’est une ancienne maison de famille, une meulière des années 1930 sur trois étages. Elle correspond au processus de création. Au sous-sol, j’entrepose tous mes matériaux bruts. L’ambiance se rapproche assez de l’intérieur d’une vieille remise du Sud-ouest, disons… encombrée. C’est ici que je débute mes assemblages, au milieu de tout mon fatras. Je peux passer un temps infini à rechercher des pièces qui peuvent fonctionner ensemble. C’est presque l’essentiel,  le reste consiste à trouver les moyens pour respecter l’idée initiale. Au premier étage, il y a mon second atelier, légèrement moins encombré, celui où je finis les petits assemblages et où je peins. La salle de bains sert occasionnellement pour les enduits. Au dernier étage, je stocke – je devrais dire je cache – les pièces achevées pour ne plus les voir et passer à autre chose.»

« C’est en découvrant la fabuleuse collection de fétiches Daniel Cordier/Spoerri, aux Abattoirs de Toulouse, que j’ai eu l’envie d’aller vers plus de couleur, de fantaisie. Le nom lui-même est venu d’une énième bévue du président américain Donald Trump : lors d’une conférence en marge de l’ONU, en 2017, il avait salué le système de santé de plusieurs pays d’Afrique, dont la Nambie… Il manquait une population à ce pays qui n’existe pas, à cet Eldorado! J’ai donc créé des tribus de Nambias de toutes sortes, des adorateurs de soleil, des esquimaux, des évangélistes, des grands chefs et des petits… Pour les personnaliser, je récolte au fil des voyages ou des brocantes des accessoires miniatures, comme des boutons, des coraux, des morceaux de tissus, des perles, des pierres, des plumes et même d’anciens vestiges de poteries Taïnos, récupérés en République Dominicaine. C’est un travail d’assemblage que je fais le soir, et le halo de la lampe participe au processus créatif. Au-delà du gag initial, j’ai découvert un vrai plaisir intime : celui, illusoire, d’inventer de nouvelles civilisations ex-nihilo! »

« Surtout pas! Pour créer ces personnages, je ne me documente pas, comme j’évite par ailleurs le plus possible d’ouvrir des livres sur l’histoire de l’art. Disons que  je cultive mon inculture… Bien sûr, c’est une utopie de rester absolument vierge de tout savoir, de toute image mais j’essaie de me protéger, c’est mon côté autiste et le principe même de l’art “outsider”. L’objectif est d’avoir la sensation de défricher, de donner à imaginer aux autres… Deux ethnologues sont récemment venus me parler des Nambias. Ils étaient troublés car ils y reconnaissaient certaines références mais totalement entremêlées; ils ont évoqué quelques  “codifications croisées”. Bien sûr, on intègre tous des codes sans le savoir. Finalement, cela dit bien tous les voyages et les expériences que l’on porte en nous, même inconsciemment.  »

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