Et laBretagne redevint

CELTE

Complément d’histoire

Le drapeau breton ou Gwen ha du (littéralement blanc et noir), star des festivals de musique celtique. © CRTB-Lamoureux Alexandre

Mégalithes, harpes, triskells, druides… Un cortège de clichés forgerait l’”âme celtique” de notre vieille Armorique. Mais quelle est la véritable histoire celte de la Bretagne? Où en est-elle aujourd’hui ?           

ACTE 1

Les Celtes s'installent en Europe

A défaut de textes, les Celtes nous ont légué un patrimoine artistique d’une formidable originalité. Mais d’où venaient-il? Ces dernières années, de nouvelles découvertes archéologiques, mais aussi linguistiques, permettent de retracer un scénario qui démarre au VIIe millénaire avant notre ère. Partis d’Asie Mineure, l’actuelle Turquie, des groupes de populations auraient d’abord remonté le Danube et ses affluents pour s’installer sur les bords du Rhin, dans une vaste région allant de l’est de la France à la Tchéquie et englobant la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche. « Keltoi » est le nom générique que ces peuples se donnaient eux-mêmes, nous disent les textes de Grecs, qui les ont croisés au gré de leurs échanges commerciaux aux marges de la Méditerranée… A l’âge de Fer, les Celtes rayonnent sur l’ensemble de l’Europe et développent un savoir métallurgique remarquable, produisant des armes, des outils, des bijoux finement ciselés. Les IVe et IIIe siècles avant JC, juste avant la conquête romaine, marquent leur apogée. 

Les Celtes en Europe. D’après Patrice Lebrun/Université Paris I.

Casque d’Agris (IVe siècle av. JC), découvert en 1981 en Charente. Musée d’Angoulême.

Le barde à la lyre (IIe siècle av. JC) découvert en 1988 près de Carhaix, en Côte d’Armor. Musée de Bretagne à Rennes.

ACTE 2

Le monde celte englobe l'Armorique

On l’a compris : la péninsule armoricaine n’était pas le centre du monde celtique, loin de là! « Mais les haches et les épées retrouvées sur ses côtes en témoignent, elle a été très tôt intégrée aux réseaux de diffusion culturelle du monde celte sur la façade atlantique », explique l’historien Patrick Galliou, qui a réalisé la carte archéologique de la Gaule armoricaine.  A l’âge de Fer, l’Armorique devient un important fournisseur de fer et de sel, la société celtique s’y structure. Les fouilles ont révélé des résidences aristocratiques fortifiées, comme la forteresse de Paule, près de Carhaix, d’où vient cette statuette de barde à la lyre, portant le traditionnel torque. Mais aussi des habitats ruraux, des poteries, des monnaies, des stèles en pierre taillée, ultérieurement utilisées comme socles de croix chrétiennes. « La celtisation de l’Armorique n’est pourtant attestée qu’en 325 av. JC, par le récit de l’explorateur grec Pytheas. Il y mentionne  l’île d’Ouessant, un nom d’origine celtique signifiant « la plus lointaine ».

ACTE 3

L'Armorique celte résiste aux Romains

Après la guerre des Gaules (58 à 50 av. JC), l’Empire romain règne en maître sur la péninsule armoricaine. Rome s’empare d’un territoire déjà bien structuré socialement, politiquement et économiquement, mais elle apporte avec elle sa civilisation. Condate (Rennes), Darioritum (Vannes), Condevicnum (Nantes) : chacune des tribus de l’Ouest gaulois est pourvue d’une capitale assortie de villas, de thermes et d’un réseau routier. L’aristocratie locale intègre le nouveau système politico-administratif. Certains s’enrôlent même dans l’armée romaine. Mais la culture celtique ne disparaît pas totalement. « Alors que les élites adoptent le latin, le reste de la population continue à utiliser les dialectes locaux», explique la linguiste Nelly Blanchard. Jusqu’au IIIe siècle au moins, les anciens sanctuaires celtes perdurent aussi, comme celui de Saint-Jean-Trolimon, dans le Finistère, où l’on a retrouvé des statuettes habillées à la romaine de la déesse celtique Epona, associée au culte du cheval. Et la péninsule armoricaine ne cesse d’entretenir des échanges avec les Bretons, de l’autre côté de la Manche… 

Oppidum gaulois de Paule, Finistère, au Ier siècle av. JC.  Document Kreizy Archéo/Archéologie en Centre Bretagne.

Au Ve siècle, les noms en « plou », « lan », « tre » se multiplient en Bretagne.

ACTE 4

La Petite Bretagne se "re-celtise"

A la fin du Ve siècle, les invasions germaniques bouleversent la carte de l’Occident romain. Les Angles et les Saxons occupent une partie de la Grande Bretagne. Les Irlandais, christianisés par les premiers missionnaires, multiplient les raids à l’ouest. « Les Bretons des îles ont alors beaucoup de raisons de rejoindre l’Armorique : échapper à la pression germanique, coloniser de nouvelles terres ou simplement répondre à l’appel de l’aventure », explique Patrick Galliou. Des saints ont-ils vraiment traversé la Manche dans des auges en pierre? « Douteux. Mais quelques hommes d’Eglise accompagnés de fidèles et pourvus d’un pouvoir politique étendu ont sans doute suffi à réimporter la culture celtique dans la péninsule armoricaine, qui prend dès lors le nom de petite Bretagne». C’est précisément à partir de ce Ve siècle que la langue bretonne se forge. Les noms de paroisses en « plou », « lan », « tre », accolés à des prénoms d’origine bretonne, galloise ou cornique apparaissent à cette époque. « Le vieux breton, constate la linguiste Nelly Blanchard, s’est formé sur un substrat gaulois mêlé d’influences latines et celtiques insulaires. » 

ACTE 5

Le duché de Bretagne bâtit sa légende

A partir de 936, le duché de Bretagne est en proie aux luttes d’influence entre la France et l’Angleterre. La culture celtique paraît y reculer. Elle persiste pourtant, dépassant le  cadre de l’héritage historique pour entrer dans la construction d’une identité légendaire. Le discours politique médiéval témoigne de ce glissement. « Mêlant la légende à la réalité, la première « Histoire des rois de Bretagne » naît au XIIe siècle, à la cour anglaise des Plantagenêt, explique Claudine Glot, présidente du Centre de l’Imaginaire Arthurien, en forêt de Brocéliande. Le clerc Geoffroy de Monmouth y fait du roi Arthur le souverain idéalisé de la Grande, mais aussi de la Petite Bretagne ». Au XVe siècle, des historiographes bretons utilisent le personnage d’Arthur pour défendre la position d’Anne de Bretagne à la tête du duché. Mais ils n’obtiennent qu’un sursis… Suite au mariage de Claude de France, la fille d’Anne de Bretagne, avec François Ier, le duché de Bretagne intègre le domaine royal. 

Le roi Arthur et les chevaliers de la Table Ronde, enluminure de 1494, Bibliothèque royale de Blois.

Pardon breton de Kergoat par le peintre « paysan » Jules Breton (1827-1906). Musée des Beaux Arts de Quimper.

La chapelle de Saint-Sansom à Landunvez, dans le Pays d’Iroise (Finistère nord). Photo Pascale Desclos.

ACTE 6

L'Eglise bretonne intègre la culture celte

Au Moyen Âge, l’Eglise participe à sa manière au travail de reconstruction de la culture celtique en Bretagne. Pour ne pas heurter la population, le clergé « intègre » les pratiques païennes liées à la nature : on installe des statues de saints autour des sources, des lacs, des forêts ; on plante des croix sur des stèles gauloises ; on organise des « troménies» (du breton tro, le tour et du latin monachia, l’espace monastique), sortes de promenades religieuses en plein air de chapelle en chapelle. Accompagnés de cantiques chantés en langue bretonne et de pratiques d’inspiration peu orthodoxes (médecine populaire, prophylaxie du bétail, recherche de présages), les pardons et pélerinages se multiplient dans la Bretagne médiévale. Parmi les plus célèbres : le pardon de Saint-Yves à Tréguier, la grande Troménie de Locronan ou le Tro Breiz, qui entraîne les pélerins dans un tour de la Bretagne en l’honneur de ses sept saint fondateurs.

ACTE 7

La celtomanie s'empare des esprits

Après le rattachement de la Bretagne à la France, en 1532, son identité celte se dilue. Elle reprend pourtant un nouveau souffle au XIXe siècle, avec le mouvement du bretonisme. « Quelques érudits exilés à Paris s’avisent alors que leur Bretagne natale n’est pas une province arriérée de la Gaule, qu’elle peut au contraire se targuer d’un passé à la fois celtique et chrétien, explique l’historien Jean-Yves Guiomar, spécialiste des mouvements régionalistes en France. Parmi ces nobles de sensibilité libérale et catholique, le vicomte de La Villemarqué publie en 1839 le Barzaz Breiz, un recueil de chants populaires bretons. « Dans son sillage, diverses sociétés savantes se passionnent pour l’archéologie, les saints, les langues, les coutumes, les costumes bretons». Leurs travaux s’appuient parfois sur un passé fantasmé. Les dolmens et les menhirs, aujourd’hui datés du néolithique, donc bien antérieurs à l’âge du Bronze, sont par exemple taxés de « monuments celtes ». Au temps où les premiers touristes arrivent en Bretagne par le train à vapeur et découvrent les bains de mer, la celtomanie s’empare des esprits…

Retour de l’école à Rochefort-en-Terre (XIXe siècle), photographie Paul Geniaux, Musée de Bretagne à Rennes.

Affiche « Révolution nationale » sous le gouvernement de Vichy, Musée de Bretagne à Rennes.

ACTE 8

Du romantisme à la collaboration

En 1859, Napoléon III décrète la suppression de l’Association bretonne, craignant son influence monarchiste sur le monde rural. Mais les idées des bretonistes font leur chemin. « Au début du XXe siècle, le sentiment d’être breton se transforme pour certains en ressentiment contre l’Etat français, continue Jean-Yves Guiomar. Les raisons ?  La Bretagne a perdu nombre de jeunes hommes durant la grande guerre, le développement économique de la région se fait attendre, la langue bretonne est interdite dans les écoles de la République… Ces critiques forment le terreau des partis régionalistes et séparatistes bretons, qui se réclament d’un passé celtique pour gagner l’autonomie. » A la veille de la seconde guerre mondiale, les activistes du Parti National Breton, ralliés au slogan Breiz Atao ! (Bretagne toujours !), iront jusqu’à collaborer avec l’Allemagne, se faisant complices de l’idéologie naziste pour réaliser leur rêve de Bretagne indépendante. Après guerre, Breiz Atao est longtemps resté synonyme de « collabo » pour les Bretons…

ACTE 9

La Bretagne fait sa révolution en V.O.

Dans les années 1960, les partis bretons « engagés » opèrent un virage à gauche. Mais la majeure partie de la population se sent française et souhaite simplement garder sa spécificité culturelle. Les attentats perpétrés par le FLB (Front de Libération de la Bretagne) restent le fait d’une minorité extrémiste. A l’heure où s’interrompt la transmission intergénérationnelle de la langue bretonne, c’est plutôt la question linguistique qui occupe le devant de la scène. Les musiciens Alan Stivell, Glenmor ou Gilles Servat chantent des légendes celtes transcrites à l’époque médiévale, comme le Tir Na Nog, « Terre de l’éternelle jeunesse » en gaël, la ville engloutie d’Ys ou la Dame du Lac de Brocéliande. Linguistes et grammairiens modernisent le breton en unifiant les différents dialectes de Basse Bretagne, cornouaillais, léonard, trégorrois, vannetais. Sous l’impulsion de l’école Diwan (du breton « germer»), des classes bilingues s’ouvrent; le breton s’enseigne aussi sur les bancs des universités de Rennes et Brest. D’innombrables panneaux signalétiques breton-français fleurissent jusqu’en Haute Bretagne, pourtant de parler gallo. Et dans les premières pages de la BD Astérix, le petit village d’irréductibles gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur est situé … du côté d’Erquy, dans les Côtes d’Armor.

Floraison de Gwenn ha (le drapeau breton) au 30e anniversaire de l’école Diwan à Carhaix, en 2008. Ludovic Mauduit/Wikipedia.

« Et un petit village d’irréductibles gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur ». Par René Goscinny/Albert Uderzo. Astérix Le site officiel.

Inventée dans la haute Antiquité, la harpe reste la star du Festival interceltique de Lorient.

Créée en 2018, la Gravel tro Breizh est une course de vélo tout terrain qui fait le tour de la Bretagne en 1200 km et une semaine. Prochaine édition en mai 2020. 

ACTE 10

La celt'attitude explose

Dans les années 2000, la pratique du breton chute. « En 2010, on comptait 172 000 locuteurs en Basse Bretagne, soit 13 % de la population, contre 90 % au début du XXe siècle. Deux tiers de ces locuteurs avaient plus de 70 ans », constate Nelly Blanchard. Cela n’empêche pas le succès de la Celt’attitude bretonne, largement encouragée par le marketing. La galette de sarrasin s’exporte jusqu’au Japon avec le Breizh Café. Le bijou-triskell ou des marques comme Armor-Lux deviennent cultes. Né à l’époque médiévale et relancé en 1994, le Tro Breiz comme le Gravel, sa version cyclo, attirent chaque année des centaines de randonneurs. Le Festival interceltique de Lorient, le Festival de Cornouailles de Quimper ou les Vieilles Charrues de Carhaix attirent les foules. Mêlée d’influences folk, rock, rap, la musique « celtique » y fait vibrer les cœurs, toutes générations confondues. Et qu’importe si la culture « néo-celtique », nourrie à la fois de traditions et de métissages, fait des amalgames. En répondant au besoin du merveilleux, elle témoigne d’une belle vitalité. Et elle éclaire l’histoire celtique de l’Armorique, sans cesse renaissante…

Breton, le triskell?

Une Limonade à Tombouctou a mené l’enquête… Le triskélès (« à trois jambes » en grec) serait en fait un symbole solaire originaire du Proche-Orient. Apparu au Ve siècle av. JC, sur des monnaies de cités grecques en Asie mineure, il représente alors trois jambes courant de la gauche vers la droite, comme le soleil va d’est en ouest. A partir du IIe siècle av. JC, on rencontre ce motif sur des pièces émises par des peuples celtes de la vallée du Danube, puis en Gaule, mais pas en Bretagne insulaire. Les jambes se stylisent alors en spirales, le motif est devenu décoratif. Absent dans le monnayage de la Bretagne médiévale, le triskell n’est apparu en Bretagne qu’au XXe siècle, comme supposé symbole celtique…

A LIRE, A VOIR...

La Bretagne linguistique, sous la direction de Nelly Blanchard, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, 2010.

Carte archéologique de la Gaule (Finistère, Morbihan, Côtes d’Armor), Patrick Galliou, Maison des Sciences de l’homme, 2010, 2009 et 2003.

Les Celtes, Barry Cunliffe (trad. Patrick Galliou), Errance, 2001.

Le bretonisme, Jean-Yves Guiomar, Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 1987. 

Musée de Bretagne, 10 Cours des Alliés à Rennes, ouv. tlj sauf lundi.

Centre de l’Imaginaire Arthurien, Château de Comper-en-Brocéliande à Concoret, ouv. de mars à octobre. 

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