Complément d’histoire
HÉROÏNE BIBLIQUE, LA REINE DE SABA ALIMENTE ENCORE LES FANTASMES DES ARCHÉOLOGUES. ENQUÊTE DU YÉMEN À L’ETHIOPIE, SUR LES TRACES D’UN ROYAUME PERDU.
A quoi ressemblait la reine de Saba? Fut-elle vraiment la muse et la maîtresse de Salomon? A-t’elle même existé ? Rien ne le prouve, si ce n’est sa légende, qui court depuis des millénaires à travers les traditions biblique, musulmane, juive et éthiopienne. Depuis cent-cinquante ans en revanche, son fastueux royaume ne cesse de resurgir dans les rapports archéologiques. Un sujet que connaît bien l’archéologue Jean-François Breton, directeur de recherche au CNRS, qui a mené des fouilles dans le désert du Yémen durant 20 ans. « Que cette reine ait été une réalité ou une fiction, les textes anciens donnent de précieuses indications sur la position géographique de son royaume. La Bible hébraïque, où le terme « Sheba » se rencontre 23 fois, évoque une contrée de marchands caravaniers, qui commerçait l’encens, les pierres précieuses et l’or avec Tyr, port antique de l’actuel Liban. »
C’est muni de ce viatique littéraire, d’une fine connaissance des langues sémitiques et d’une solide intuition, que, en 1869, l’orientaliste français Joseph Halévy part au Yémen, mandaté par l’Académie des inscriptions et belles lettres. La contrée est alors rattaché à l’Empire ottoman. Au terme d’un long voyage, il débarque dans l’oasis de Marib. Là, au fond d’un défilé rocheux creusé par une puissante rivière, il découvre une cité antique enfouie dans le sable. Aidé par les Bédouins qui vivent là, il va alors relever des centaines d’inscriptions et parvenir à les déchiffrer : elles sont rédigées en sudarabique, le nom donné aux langues parlées avant l’apparition de l’arabe dans l’Arabie méridionale au Ier millénaire avant JC. Or, comme l’Ancien Testament, nombre de ces inscriptions mentionnent le nom de Saba.
REPERES CHRONOLOGIQUES
Une civilisation fondée sur la maîtrise de l’or bleu
Emergence de la civilisation antique de l’Arabie du Sud. Maîtrise de l’irrigation, fondation de Marib, attestée par les fouilles archéologiques.
Règne de Salomon à Jérusalem.
Départ possible de colons d’Arabie vers le nord de l’Ethiopie.
Domination de Saba sur une Arabie du Sud spécialisée dans l’irrigation et divisée en Etats concurrents. Commerce de l’encens, de l’or, des pierres précieuses rapporté par les textes historiques.
Probable rédaction du « Livre des Rois », récit biblique qui conte la rencontre entre Salomon et la reine de Saba.
Abandon des cités antiques des royaumes caravaniers. Causes probables : divisions politiques, déclin du commerce d’encens et d’aromates, lente désertification de la région.
Le temple d’Awwam, enfoui dans les sables de l’oasis de Marib, au Yémen, serait un vestige de l’ancienne capitale de la reine de Saba.
« Systématiquement associé au terme « arroser », Saba ne désigne pas un royaume, mais une collectivité dirigée par un mukarrib, un souverain fédérateur, dont les prières à la divinité Almaqah sont récompensées par des crues », décrit l’archéologue. Un premier site prometteur… Mais d’autres candidats veulent lui voler la vedette. En 1871, quand l’explorateur allemand Karl Mauch découvre les impressionnantes murailles du site de Grand Zimbabwe, entre les fleuves Limpopo et Zambèze, il croit à son tour avoir trouvé la capitale de Saba. Même si rapidement, les recherches scientifiques prouvent que ces ruines sont en fait d’époque médiévale et appartiennent à la civilisation bantoue des Shonas, l’ethnie majoritaire au Zimbabwe… En 1896, c’est le négus d’Ethiopie, tout juste victorieux des Italiens à la bataille d’Adoua, qui assure, sur la foi d’une légende médiévale, descendre en droite ligne de l’union de Salomon et de la reine de Saba.
Pour proclamer au monde l’indépendance de son pays, il revendique même le titre de « Lion de Juda », la tribu mythique des rois d’Israël. Joseph Halévy s’agace de « ce chef d’œuvre de la spéculation exégétique » et n’en démord pas : pour lui, l’oasis de Marib reste la capitale du royaume antique de Saba. Mais au Yémen, les recherches sont au point mort. Les affrontements entre Ottomans et Britanniques, qui tiennent alors le protectorat d’Aden, empêchent toute prospection. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, en 1951, qu’une équipe américaine arrive à son tour à Marib et découvre le grand temple d’Awwam et son enceinte ovale, à 3 kilomètres de la cité. Las, les archéologues doivent à nouveau plier bagages, chassés par les Bédouins jaloux de leur trésor. Passée la guerre civile au Yémen du Nord et la guerre d’indépendance au Sud, une équipe de l’Institut archéologique allemand reprend le flambeau.
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Dans la tradition éthiopienne, la reine de Saba se convertit au Dieu d’Israël et eut de Salomon un fils, Ménélik Ier, fondateur de la dynastie des Négus.
Durant près de vingt ans, de 1985 à 2004, ces spécialistes poursuivent les fouilles du grand temple d’Awwam et étudient la nécropole voisine, découvrent le second temple de Baran, explorent la digue antique et les ingénieux réseaux d’irrigation associés, avant de tenter une chronologie du site. D’autres fouilles, comme celles de l’équipe française de Jean-François Breton, dans le désert de l’Hadramaout, permettent en parallèle d’éclairer la civilisation antique de l’Arabie du Sud. Des traits identitaires se dessinent : même architecture, mêmes divinités, mêmes techniques d’irrigation, même agriculture centrée sur la récolte de l’encens. «Comme en témoignent les vestiges archéologiques, les paysans de la région ont su dés le IIIe millénaire av. JC utiliser les crues qui dévalaient des montagnes après les pluies de mousson pour répartir l’eau et le limon vers les champs» explique l’archéologue.
Les choses se précisent à partir du VIIIe siècle av. JC, époque des plus anciennes inscriptions retrouvées à Marib. Différents Etats se côtoient alors dans les vallées-oasis de l’actuel désert du Yémen: l’Hadramawt, Awsân, Qataban et surtout Saba. Marib, sa capitale potentielle, s’affirme de fait comme la plus grande cité de la région et un centre de pèlerinage important.» Le mystère de la mythique capitale de la reine de Saba serait-il enfin résolu ? Pas tout à fait, car le feuilleton rebondit de l’autre côté de la mer Rouge, dans la région du Tigré, au nord de l’Ethiopie. Depuis 1998, des archéologues français puis allemands s’intéressent en effet aux ruines d’un palais en briques et en bois, découvert à Yeha, à l’ouest d’Aksoum. Leurs travaux ont révélé un site aux fondateurs inconnus mais de style typiquement sudarabique, dédié au dieu sabéen Almaqah et remontant au IXe ou VIIIe siècle av. JC. Intrigant.
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Mais la suite est nettement plus fantaisiste. En 2008, une équipe de l’université de Hambourg affirme, sans preuves, avoir identifié le palais de la reine de Saba à Aksoum. Dénoncé par la communauté scientifique, le professeur Helmut Zieger, qui dirigeait l’équipe, a depuis été remercié. En 2012, l’archéologue britannique Louise Schofield croit, elle, reconnaître des puits d’extraction de mines d’or de Salomon dans des ruines de tombes anciennes situées sur le plateau de Gheralta. Mais les prétendues inscriptions en sabéen retrouvées se sont avérées dater du IIIe siècle et être en guèze, la langue liturgique de l’Eglise d’Ethiopie. Pas de quoi remettre en question l’antériorité de Marib et son statut de capitale de l’antique Saba. « Selon un scénario probable, des Sabéens ont cependant pu très tôt quitter leur Arabie d’origine, traverser la mer Rouge, large de 300 km entre le Yemen et l’Erythrée et coloniser le nord de l’Ethiopie, juste en face.
Ils y auraient perpétué leurs dieux, leur langue et leur savoir-faire en matière de construction. ». Depuis 2014, une guerre civile meurtrière a de nouveau interrompu les fouilles au Yémen. Nombre d’archéologues soupçonnent la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite, qui soutient le gouvernement contre les rebelles, d’instrumentaliser le conflit pour s’en prendre au patrimoine pré-islamique. « Parmi la liste des cent sites archéologiques touchés par les pillages, les destructions ou les frappes aériennes, figure le barrage antique de Marib », confirme Jean-François Breton. Une situation désespérante, au regard des promesses archéologiques du lieu ». Un appel mondial a depuis été lancé aux dirigeants français, américains et britanniques pour œuvrer en faveur d’un apaisement. Mythe ou réalité, la reine de Saba n’a pas fini de se retourner dans sa tombe…
La reine de saba, un mythe
Selon le récit qu’en fait, dans la Bible hébraïque, le « Livre des Rois », la reine de Saba vint à Jérusalem avec une suite et des chameaux chargés d’or, de pierres précieuses et d’aromates pour rencontrer le roi Salomon et l’éprouver par des énigmes. Lorsqu’elle vit le palais qu’il s’était fait construire et les sacrifices qu’il offrait au temple de Yahvé, elle s’écria : « Ce que j’ai entendu dire dans mon pays de toi et de ta sagesse était donc vrai ! ». Mais ce récit recouvre-t’il une réalité historique? « On sait que Salomon régna à Jérusalem au Xe siècle av. JC, note l’archéologue Jean-François Breton. Or le Livre des Rois est postérieur d’au moins deux siècles. Cependant, au moins trois inscriptions sudarabiques retrouvées à Jérusalem prouvent l’existence de liens entre Sheba et Juda au VIIe siècle av. JC « . Cela n’a pas empêché la légende de perdurer, rebrodée à l’infini par les textes anciens. Grand amour de Salomon pour les interprètes du « Cantique des cantiques »; sorcière aux jambes velues dans le « Livre d’Esther » du Talmud; reine impie convertie pour le Coran; plus tard surnommée Bilqis par la tradition arabe; puis enfin Makeda, ancêtre de la dynastie du Négus en Ethiopie… L’héroïne de la Bible a ainsi traversé les siècles. Sans prendre une ride.
Salomon et la reine de Saba, dit aussi « Esther devant Assuérus », de Claude Vignon (1593-1670).
ANDRE MALRAUX AU YEMEN
André Malraux en 1934, un an après avoir obtenu le prix Goncourt pour son roman « La Condition humaine ». © AFP
En 1934, l’écrivain André Malraux, auréolé du Goncourt pour « La Condition humaine », s’envole de France pour l’Arabia Felix en compagnie du futur général Corniglion-Molinier et d’un mécanicien. Son objectif : suivre les traces de l’orientaliste Joseph Halévy qui, 65 ans plus tôt, partit à pied ou en dos d’âne, déguisé en colporteur musulman, à la recherche de la capitale mystérieuse de la reine de Saba. Le voyage, effectué sans autorisation, est risqué: d’abord leur avion, un petit bimoteur, ne peut voler plus de 10 heures d’affilée. Ensuite le contexte politique régional est tendu, ni l’imam-roi du Yemen ni les Anglais qui tiennent le golfe d’Aden ne tenant à des survols clandestins de ces contrées. D’abord paru dans le quotidien « L’Intransigeant », le feuilleton de cette expédition rocambolesque a été publié en 1993 dans un livre : « La reine de Saba, une aventure géographique ». En vérité, Malraux n’a jamais atteint la zone de Mârib, il a seulement survolé les villages au nord de Sanaa. Son seul mérite est finalement d’avoir – avec un lyrisme certain mais beaucoup d’imprécisions géographiques – remis en lumière l’héroïne mythifiée par la Bible et le Coran…
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