Demeures d’Histoire
PLUS QU’UN CHÂTEAU, LE DOMAINE DE CHANTILLY A ÉTÉ PENSÉ PAR LE DUC D’AUMALE COMME UN MUSÉE DESTINÉ AU PUBLIC.
« Oh regardez celle-ci, elle est au moins deux fois longues comme mon bras ! » Penché au balcon, le gamin en redingote de velours et bas blancs s’amuse à jeter aux carpes des morceaux de pain. De cette première journée au château de Chantilly, il écrira à sa sœur Louise, première reine des Belges. « Nous nous sommes beaucoup amusés.» Le jeune Henri d’Orléans, duc d’Aumale, cinquième fils du roi Louis-Philippe a-t-il alors conscience qu’il vient d’hériter des biens de l’une des familles les plus prestigieuses de France, la Maison Condé ? En 1830, à 8 ans, il est désormais l’un des plus grands propriétaires fonciers français, un héritage qui comprend 66 millions de francs or, une rente de deux millions, l’immense forêt de Thiérache et le nom moins prestigieux Palais-Bourbon – aujourd’hui l’Assemblée Nationale – et surtout la gloire des Condé, le château de Chantilly. Mais une gloire un peu ruinée. La belle bâtisse qui faisait la fierté du Grand Condé est en bien triste état.
Remontons deux siècles en arrière. Cousin de Louis XIV, le grand Condé est tout à la fois, le héros de fameuses batailles, dont celle de Rocroi contre les Espagnols, le prince des Frondeurs qui tentèrent de renverser le pouvoir royal, l’âme du parti libertin et des fêtes galantes qu’il donne en son château, et qui font de lui l’ami de Boileau, Bossuet, Madame de Sévigné et Molière. L’acmé de cette vie mondaine est la réception qui, en avril 1671, scelle sa réconciliation avec Louis XIV. « Cette fête est restée dans les annales grâce à son faste et à cause du suicide du contrôleur en bouche, c’est-à-dire de l’organisateur, le fameux Vatel », explique Nicole Garnier, conservateur général du Musée Condé. Il faut dire que l’homme n’avait disposé que de deux semaines pour orchestrer ces trois jours de célébrations. Dès le premier soir la somptuosité du feu d’artifice est gâchée par le brouillard. Le rôt (tout ce qui est rôti) vient à manquer. C’est donc un homme épuisé, qui au matin du troisième jour, attend en vain la marée.
VISITER LE DOMAINE DE CHANTILLY
La visite du Domaine de Chantilly comprend le château, les 115 hectares du parc dont les fameux jardins à la française, le jardin anglo-chinois et le jardin anglais. Les plus grandes écuries d’Europe accueillent le musée du cheval, une présentation de dressage et des spectacles équestres.
La Galerie des batailles est l’ancienne salle de réception des Princes de Condé. Décorée au XVIIe, elle présente onze toiles qui illustrent les victoires du Grand Condé.
On connaît l’histoire magnifiquement racontée par Roland Joffo dans le film Vatel, persuadé (à tort) que le poisson n’arrivera pas, l’ordonnateur se transperce de son épée.
Les différents propriétaires, tous Condé, font ensuite évoluer le monument qui perd tout caractère médiéval. Les appartements s’ornent aux goûts de l’époque, teintés d’exotisme, de boiseries sculptées, de dorures et de soieries; on y aménage un cabinet de curiosités, très à la mode alors. Conservant les rectitudes végétales et les jeux de miroirs aquatiques tels que les avaient tracés Le Nôtre, les jardins à la française s’agrémentent d’un labyrinthe, d’un jeu de l’oie géant, et surtout du Hameau, cinq maisonnettes à colombages où l’on se divertit, se restaure et joue aux paysans. « Marie-Antoinette s’en est inspirée pour son fameux Hameau de Versailles. » souligne Thierry Basset, jardinier en chef. On raconte aussi que c’est ici que la crème fut fouettée pour la première fois… Pendant que l’aristocratie batifole, le peuple gronde. Le bulldozer de la Révolution n’épargne pas le château. La partie nommée le Grand château est entièrement ruinée alors que le Petit château devient une prison… Lorsque le jeune duc d’Aumale découvre son héritage, la monarchie française connaît son dernier soubresaut ;
« Autant l’avouer, j’ignorais totalement en arrivant à Chantilly que j’allais découvrir la seconde collection de peintures anciennes en France après celle du Louvre ! On croise quelques chefs-d’œuvre ! En revanche je savais que je ne serais pas déçu par le Musée du cheval dans sa nouvelle muséographie. Un vrai bonheur pour les amoureux des chevaux. »
et celle dite de Juillet (1830-1848) ne dure que le temps d’un règne, celui de Louis-Philippe, le père de notre duc ! A 20 ans, le jeune homme entame une prometteuse carrière militaire qui le conduit principalement en Algérie, dont il est jusqu’en 1848, gouverneur général, loin d’un Paris qui s’ameute. Le 24 février, les étudiants et les ouvriers sont dans la rue. Le sang coule sur la chaussée. Trois jours plus tard, Louis-Philippe abdique. C’est l’exil à Londres. Henri a 26 ans, et sous peine de confiscation, doit vendre tous les biens de la Maison d’Orléans qu’il détient en France. Sa devise devient alors « J’attendrai.»
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Son attente n’est pas passive. Féru d’histoire, il écrit. Une Histoire des Princes de Condé, des études sur les zouaves ou les chasseurs à pied. Mais surtout il collectionne. Le duc, secondé par une escouade d’experts et d’hommes de paille, se lance dans la quête d’œuvres d’art que les révolutions ont dispersées. Clouet, Ingres, Poussin, Nattier, côté français ; Fra Angelico, Di Cosimo, Botticelli, Raphaël ou Titien pour ne citer que quelques-uns des peintres italiens figurent à son tableau de chasse. Plus de 800 toiles, soit la seconde collection de peinture ancienne après le Louvre ! L’ancien militaire a un autre dada : les bouquins qu’il amoncelle avec frénésie. Il cherche les raretés et découvre en Italie l’un des plus célèbres incunables, Les très riches heures du duc de Berry. Ce ne sont pas moins de 60 000 volumes dont 1 600 considérés comme précieux qu’il peut fièrement répertorier, classer et installer dans l’une des deux bibliothèques de Chantilly. Car l’homme a attendu, sans jamais renoncer…
Il avait vendu Chantilly avec une clause de rétrocession. Autorisé à revenir en France en 1871, il prend en main la restauration du château, fait élever en lieu et place des parties ruinées une bâtisse néo-Renaissance en l’honneur de son cher Grand Condé. Pour les appartements, il achète du mobilier « d’époque » dont l’une des plus fameuses commodes de Versailles. Chantilly a retrouvé son faste. Le duc d’Aumale s’éteint le 7 mai 1897 à 75 ans : il avait pris soin de tester auparavant : « Cette maison que j’ai bâtie, où j’ai vécu, je veux qu’elle disparaisse avec moi. Non qu’elle soit démolie ni transformée radicalement (…). Aspect extérieur, silhouette, disposition générale, rien ne sera changé, mais ce ne sera plus une maison. Le château ne sera plus qu’un musée et un lieu de travail. Je veux qu’y aient accès tous ceux qu’attirent des collections, des archives, une bibliothèque dont je ne crois pas qu’elles soient médiocres ».
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d’empathie, d’entraide et
d’amitié.
Le duc d’Aumale a conçu cette pièce dite « La Tribune » comme un panorama de l’histoire de la peinture. Fra Angelico, Watteau, Titien, Poussin, entre autres, y sont exposés.
LES GRANDES ECURIES & LE MUSEE DU CHEVAL
Construites au XVIIIe siècle, les Grandes Écuries n’ont rien connu d’autres que l’odeur du foin, la poussière du manège et le hennissement des chevaux. Destinées aux destriers de chasse des Seigneurs de Chantilly, elles sont toujours dédiées au cheval. Dans les années 1980, l’écuyer Yves Bienaimé a l’idée d’y installer un musée consacré à ce lien si unique qui unit l’homme et sa monture et pour en faire découvrir toute la complexité et la finesse, il présente chaque jour de courtes démonstrations de dressage. Aujourd’hui Sophie, sa fille, a repris les rênes et propose en plus, chaque année en compagnie de six cavalières un spectacle mêlé de voltige, Haute École, théâtre et cirque, mais toujours à la cadence des sabots.
VISITER LE DOMAINE DE CHANTILLY
Y aller : Le Domaine de Chantilly est situé à 40 kilomètres du centre de Paris, par l’A1 et A3. Il est possible de s’y rendre en TER depuis la gare du Nord ou en RER D.
Les démonstrations de dressage : Les présentations équestres, aux Grandes Écuries, dévoilent les secrets de dressage et les techniques qui permettent d’apprendre aux chevaux à effectuer des airs de Haute-École comme le piaffé, le passage ou des fantaisies équestres comme le pas espagnol. Durée 30 minutes, animation incluse dans le billet domaine.
Journées des plantes : Chaque année pour le week-end de La Pentecôte, les amoureux des belles plantes se réunissent dans le parc du Domaine de Chantilly. Pépiniéristes, collectionneurs, paysagistes, professionnels du monde végétal, associations horticoles, plus de 200 exposants partagent leurs amours florales. Objets et mobilier pour l’art de vivre au jardin, outils et accessoires de jardinage, artisanat d’art et savoir-faire traditionnels. Conférences, signatures, animations, ateliers, conseils… Tout pour le jardinier !
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