Voyage Grand format
SI JE VOUS PROPOSAIS D’ENTRER DANS UNE TOMBE, VOUS ME PRENDRIEZ POUR UN FOU ! POURTANT CHAQUE JOUR, DEUX MILLE PERSONNES FONT LA QUEUE POUR VISITER LES CATACOMBES.
Avec les catacombes, on touche le fond. C’est descente sans ascenseur au 3e sous-sol. 20 mètres sous les pavés parisiens, pas de plage mais des tonnes d’ossements humains, un empilement de crânes au regard figé pour l’éternité, se moquant des milliers de touristes qui défilent chaque année. Avec 500 000 visiteurs par an, les catacombes sont l’une des Urban Experiences incontournables de Paris. Assurément un drôle d’endroit pour une balade, mais si l’envie vous prend d’y faire une incursion, sachez au moins où vous mettez les pieds car comme l’indique l’écriteau au-dessus de l’entrée de l’ossuaire : « Arrête, c’est ici l’empire de la mort ». Vous voilà prévenu. Dans un éclairage à l’obscurité savamment étudié, deux murs se font face, alignant avec une étonnante régularité crânes et os longs. « Ce ne sont que des façades, précise Philippe Schmitt-Kumerlee, guide-conférencier. Derrière, l’ amoncellement osseux peut atteindre 35 mètres de profondeur.»
À l’origine, les os avaient été simplement empilés, mais en 1810, Louis-Étienne Héricart de Thury, Inspecteur général des carrières, décide de mettre en scène les catacombes. Il demande aux ouvriers d’agencer les os de manière décorative. N’écoutant que leur sens artistique, les carriers tracent à l’aide de crânes des croix, des cœurs, et autres dessins géométriques que soutiennent des millions de tibias. L’inspecteur n’en reste pas là, il dispose des cartels, panneaux qui nomment chaque cimetière d’origine des trépassés ; désireux d’accompagner le visiteur dans sa danse macabre, il rythme les 1,8 kilomètres du parcours de sentences et maximes sur la fragilité de la vie. Où est-elle la mort ? Toujours future ou passée. A peine est-elle présente que déjà elle n’est plus… L’homme fait des catacombes un véritable espace muséal dédié à la mort « Selon les registres des églises, il devrait y avoir six millions de défunts, mais le chiffre de trois millions semble plus près de la vérité » souligne Philippe.
VISITER LES CATACOMBES
La visite des Catacombes comprend 130 marches à descendre puis 83 à remonter. Le parcours, qui dure en moyenne 45 mn sur un peu moins de 2 km, ne se faisant qu’en sens unique. N’hésitez pas à participer à une visite guidée, toujours plus instructive et complétée de sites fermés au public non-accompagné.
Dans les allées des catacombes de Paris.
Diable, que font donc tous ces morts ici-bas ? Pour le savoir, il faut remonter le temps, et donc passer le premier sous-sol – celui des égouts et des canalisations – puis le deuxième – celui du métro – et s’arrêter au troisième. L’étage des catacombes est vieux de 45 millions d’années. Paris est alors sous les eaux et le bassin parisien, une vaste mer où grouille une faune innombrable de bivalves et autres gastéropodes en tout genre.
L’accumulation de leurs coquilles, millions d’années après millions d’années, générations d’huîtres et d’escargots après génération d’huîtres et d’escargots, finit par former d’épaisses couches de calcaire. D’ailleurs si vous regardez de près, vous remarquez que la pierre est maculée de traces fossiles de ces anciens habitants. « Pour faire simple, précise le conférencier, on peut dire que plus on descend, plus le calcaire est dur et donc meilleure est sa résistance. » Ce calcaire a très tôt été exploité. Ce sont d’abord les Romains qui le découpent dans des carrières à ciel ouvert pour élever les arènes de Lutèce ou les thermes de Cluny. Puis vient le temps des cathédrales ! À partir de l’an 1 000, Paris se couvre d’églises et se ceint d’un mur protecteur. Les carrières à ciel ouvert ne peuvent plus fournir.
« Le plus étrange est que la présence de tous ces ossements humains n'a pas du tout été anxiogène ; un peu comme si la quantité, les alignements et les figures que dessinent ces milliers de crânes et de tibias les déshumanisaient pour nous (me) les rendre moins morbides, donc plus abordables. »
Plus l’homme cherche à s’élever, plus, il s’enfonce ! Au sud de la Seine, où s’extrait la fameuse pierre de Paris, on creuse toujours plus profondément, voire sur deux étages. L’exploitation du calcaire se poursuivra bon an mal an jusqu’au XIXe siècle même si nombre de carrières sont abandonnées et oubliées. Entre temps, Paris s’est étendue, son bâti s’est densifié ; et une partie de ce qui deviendra sa rive gauche repose sur 700 hectares de gruyère et 250 kilomètres de galeries. Malgré les consolidations apportées par les carriers, les effondrements ne sont pas rares.
Louis XVI, qui ne tient ni à se mettre les Parisiens à dos ni à les envoyer directement six pieds sous terre, décide de faire un état des lieux du sous-sol lutécien.
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L’Inspection Générale des Carrières, créée en 1777, a pour mission de lever les plans du sous-sol, consolider la voie publique et obliger les propriétaires à procéder aux travaux d’affermissement de leur sous-sol (ce qu’ils ne feront jamais !).
Si les carrières ploient sous le poids de l’urbanisation galopante, un autre lieu parisien souffre également de l’emprise d’une population croissante, le cimetière des Innocents. Attesté dès le XIIe siècle, il se trouve à proximité du marché central de Paris, Les Halles. Cette étrange cohabitation en fait un lieu où les transactions plus ou moins licites se font au milieu de cadavres que déterrent chiens et porcs affamés. Au cours des siècles, le cimetière reçoit les morts d’une vingtaine de paroisses parisiennes, sans compter ceux venus de l’Hôtel-Dieu ou récupérés sur la voie publique. A la veille de La Révolution et après six siècles d’entassement, le plus grand cimetière de Paris déborde mais la population, soutenue par le clergé, ne veut pas toucher à ses morts…
Jusqu’au jour où l’effondrement du mur d’une cave provoque l’irruption de centaines de cadavres chez un particulier !
L’évacuation du cimetière est décidée. Les ossements de 80 caveaux et d’une cinquantaine de fosses communes sont évacués pour être déposés, nuitamment, au sud de la capitale, dans la plaine de la Tombe Issoire où l’accès aux carrières est facile. Six mois sont nécessaires pour transporter et déposer près de 20 000 cadavres dans ce qui devient les Catacombes de Paris. La nécropole est inaugurée et consacrée religieusement le 7 avril 1786. D’autres cimetières parisiens sont à leur tour vidés et les corps déposés dans l’ossuaire. Les derniers ossements, issus de fouilles archéologiques, le sont dans les années 1960. Aujourd’hui les morts n’accueillent plus que des vivants, car n’oubliez pas, selon Alphonse de Lamartine :
« Ils furent ce que nous sommes.
Poussière, jouet du vent.
Fragiles comme des hommes.
Faibles comme le néant. »
La double vie de Theophraste Longuet de Gaston Leroux
Un extrait de 9 mn lu par Jean-Paul Bordes
Dans les Catacombes, Théophraste Longuet, petit bourgeois naïf, fait la rencontre du peuple Talpa…
Dans la «crypte de la passion», le pilier de soutènement est masqué par un habillage de crânes et de tibias en forme de tonneau.
DESCENDRE AU PAYS DES MORTS
Les catacombes sont ouvertes du mardi au dimanche de 10h à 20h30 (fermeture des caisses 19h30). L’attente peut-être longue, entre 2 et 6 heures de queue en période de vacances scolaires. N’hésitez pas à réserver vos billets et horaire d’entrée sur le site des catacombes.
À lire :
Au cœur des ténèbres, les catacombes de Paris. Un petit guide complet de Sylvie Robin, Jean-Pierre Gely et Marc Viré. Éditions Les collections de la ville de Paris.
Les catacombes, histoire du Paris souterrain de Gilles Thomas. Pour tout savoir sur la grande et la petite histoire de ce monde souterrain méconnu mais fascinant. Un livre écrit par un des grands connaisseurs des catacombes et de ceux et celles qui les ont faites. Éditions Le Passage. (Prix Ève Delacroix de l’Académie française 2016)
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